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l’abbé Scipione. C’est aussi sur la route d’Avignon qu’ils rencontrent le noble « jeune homme pauvre », Saint-Julien, qui devient par la suite le « secrétaire intime » de la séduisante princesse. Et pour séduisante — elle l’est bien, cette Quintilia aux cheveux noirs comme du jais, — « les plus longs et les plus épais qu’ait jamais vus Saint-Julien » et qui semblent être tout pareils à ceux qui ravissaient tant Musset. Sans compter que cette adorable capricieuse est de tous points une beauté, qu’elle est pétrie d’esprit, savante comme un professeur allemand, qu’elle lit le grec et le latin comme une patricienne de la Renaissance, qu’elle peut à l’occasion panser une blessure et secourir un malade comme si ce fût le vieux Deschartres qui le lui eût enseigné, mais elle est encore, ainsi qu’une élève de Stéphane de Grandsagne, tellement éprise d’histoire naturelle qu’elle donne un bal entomologique[1] dans son féerique palais, bal où toute la petite cour apparaît déguisée en papillons éthérés aux corsages de velours, en scarabées reluisants dans leurs justaucorps de satin, en mouches étincelantes de pierreries et en grillons verts du plus ridicule aspect. Nous nous taisons en outre sur le fait que Quintilia se passionne pour l’art et la littérature, qu’elle prend à cœur toutes les graves questions sociales, que dans la petite principauté gouvernée par sa blanche main règne la justice, et que « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre » n’y est point abandonnée à sa misère. Mais, outre tout cela, l’adorable princesse est encore originale à l’excès et excentrique outre mesure (il est trop clair qu’elle fume, comme une petite émancipée qu’elle est !). Elle est orgueilleuse de son indépendance et

  1. Cet épisode pittoresque fut avant l’apparition du roman inséré séparément dans un recueil et fut acclamé avec un grand enthousiasme par le public d’alors.