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d’accord à appeler chagrin ou désagrément, joie ou bonheur, tout cela, pour chacun de nous, est tout autre, tout dissemblable ; transmettre à un autre, en pleine exactitude, ses sensations, ses pensées, ses sentiments et leurs nuances, c’est ce que personne ne peut, n’a jamais pu et ne pourra jamais faire. C’est ce que Guy de Maupassant a parfaitement compris quand il dit, dans Solitude : « Notre grand tourment dans l’existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu’à fuir cette solitude… Je te parle, tu m’écoutes, et nous sommes seuls tous deux, côte à côte, mais seuls… Nous sommes tous dans un désert. Personne ne comprend personne… Et moi, j’ai beau vouloir me donner tout entier, ouvrir toutes les portes de mon âme, je ne parviens point à me livrer. Je garde au fond, tout au fond, ce lieu secret du Moi où personne ne pénètre. Personne ne peut le découvrir, y entrer, parce que personne ne me ressemble, parce que personne ne comprend personne… »

C’est cependant ce que nous ne voulons ni voir, ni croire, nous nous acharnons, avec un désespoir, du reste, compréhensible, à arriver à ce que l’on nous comprenne, nous nous efforçons de sortir de notre moi, nous voulons rompre tous les liens, nous mettre en communication vraie, réelle avec d’autres âmes, et nous parlons, écrivons, prêchons, convainquons, contractons des amitiés, nous aimons, et nous croyons que, grâce à tout cela, nous atteignons une communauté spirituelle, une sorte d’unification avec d’autres âmes. Surtout lorsque nous aimons ! C’est alors plus qu’en toute autre chose que nous nous laissons décevoir en paroles, et que nous n’aspirons même qu’à être déçus. Tu m’as dit : « Je t’aime », je suis heu-