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que les Lettres c’est de la poésie, Elle et lui c’est de la prose, une dissertation, une thèse. Les Lettres ce ne sont qu’effusions lyriques, une histoire vécue, à peine voilée par le pseudonyme du voyageur, qui vous empoigne par son lyrisme même et vous fait oublier que des personnalités réelles se cachent sous les noms d’emprunt ; tout comme lorsque nous lisons les Élégies célèbres de Pouchkine : « Pour les rives de ta lointaine patrie tu quittais le pays étranger !… ou : « Il s’est éteint l’astre du jour… Sur la vaste mer, la brume est descendue », nous oublions tout ce que nous apprennent les notes bibliographiques sur la belle inconnue de Pouchkine et nous ne savourons que leur beauté poétique. Les Lettres de George Sand ne sont ni une autobiographie, ni un roman, c’est de la pure poésie qui saisit le lecteur c’est, un poème en prose. Quiconque est doué d’un sens tant soit peu artistique les comprendra comme nous, nous n’en doutons nullement[1].

Cela n’empêche pas sans doute qu’on ne sente dans quelques lignes qu’elle s’accuse à son tour, qu’elle est profondément désenchantée d’elle-même, et cela, chez George Sand, est tout aussi naturel que chez Musset.

Et dans Elle et Lui, l’auteur est comme un président de cour d’assises, un juge tout objectif et impartial, ne prononçant son résumé final que lorsque toutes les circonstances de l’affaire sont éclaircies, après avoir entendu le procureur et les avocats, les accusés et les témoins, en un mot,

  1. M. Mariéton cite un fragment d’une lettre de Musset, qui montre combien en fut charmé celui à qui les trois premières Lettres d’un voyageur étaient dédiées, comme il fut saisi d’inquiétude, troublé de la douleur et du désespoir de George Sand dans ces lignes si profondément senties, mais aussi combien il fut fier de savoir que ces belles pages se rapportaient à lui. C’est par son entremise, on le sait, que George Sand, envoya ces Lettres à Buloz en chargeant Musset de les revoir, de les changer, d’y faire des coupures ou de les jeter au feu tout à son aise.