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avaient complètement cessé de se comprendre, ils avaient fini par se convaincre qu’ils étaient deux êtres absolument dissemblables, que leur vie à deux n’était plus possible. Seulement, ils ne savaient comment rompre.

Cette fois ce fut George Sand qui prit l’initiative de la rupture. Voici la curieuse lettre qu’elle écrivit à Boucoiran le 6 mars 1835 :

Mon ami, aidez-moi à partir aujourd’hui. Allez au courrier à midi et retenez-moi une place. Puis venez me voir. Je vous dirai ce qu’il faut faire.

Cependant si je ne peux pas vous le dire, ce qui est fort possible, car j’aurai bien de la peine à tromper l’inquiétude d’Alfred, je vais vous l’expliquer en quatre mots. Vous arriverez à cinq heures chez moi et, d’un air empressé et affairé, vous me direz que ma mère vient d’arriver, qu’elle est très fatiguée et assez sérieusement malade, que sa servante n’est pas chez elle, qu’elle a besoin de moi tout de suite et qu’il faut que j’y aille sans différer. Je mettrai mon chapeau, je dirai que je vais revenir, et vous me mettrez en voiture. Venez chercher mon sac de nuit dans la journée. Il vous sera facile de l’emporter sans qu’on le voie, et vous le porterez au bureau. Faites-moi arranger le coussin de voyage que je vous envoie. Le fermoir est perdu. Adieu, venez tout de suite si vous pouvez. Mais si Alfred est à la maison, n’ayez pas l’air d’avoir quelque chose à me dire. Je sortirai dans la cuisine pour vous parler[1].

Tout se fit comme George Sand l’avait arrangé : le 9 mars, Musset écrit à Boucoiran :

Monsieur,

Je sors de chez Mme Sand et on m’apprend qu’elle est à Nohant. Ayez la bonté de me dire si cette nouvelle est vraie. Comme vous avez vu Mme Sand ce matin, vous avez pu savoir quelles étaient

  1. Note de 1893 : Lettre inédite.
    Note de 1898 : Depuis la publication de ce chapitre dans le Messager du Nord (novembre, décembre 1895), cette lettre fut publiée par le vicomte de Spoelberch dans son livre la Véritable histoire.