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Néraud et les Lettres d’un voyageur respirent un si sombre désespoir, un si cuisant chagrin, un tel abattement qu’on ne peut douter de sa sincérité lorsqu’elle dit qu’elle devrait en finir au plus vite avec la vie, comme elle le déclare sans ambages à Boucoiran[1]. « La vie m’est odieuse, impossible et je veux en finir absolument avant peu… » La préoccupation de Pagello, qu’elle avait laissé seul à Paris, la tourmentait aussi. Elle supplie Boucoiran d’avoir soin de lui et de sa santé. « Il a peut-être besoin d’argent, mais il n’en acceptera jamais d’une femme, même comme prêt »… écrit-elle au même Boucoiran, le 10 septembre[2]. Il faut donc qu’il arrange cette affaire, mais sans que Pagello sache que l’argent vient d’elle. Elle demande de lui persuader de venir à Nohant, mais elle ne se résout point, on ne sait pourquoi, à lui écrire, tout inquiète qu’elle soit de pas recevoir de lui les lettres qu’il avait promis de lui adresser. Elle va dans sa sollicitude, jusqu’à prier Boucoiran de faire loger dans la chambre voisine de celle de Pagello, une bonne ou la cuisinière Adèle Lacouture, pour qu’il ne fût pas seul s’il tombait malade. Mais Pagello, malgré sa modestie et sa prétendue médiocrité, n’était pas de ces hommes qui permettent à des étrangers, et surtout à des femmes de s’occuper de leur personne. Il ne parvint pas, il est vrai, à accepter avec la générosité de Musset, le refroidissement de George Sand à son égard. Pendant qu’elle était encore à Paris, il lui faisait de violents reproches et se montrait si jaloux qu’il alla jus-

  1. Dans l’Histoire de ma Vie, t. IV, p. 299-300. George Sand explique sa disposition d’esprit à cette époque par une maladie de foie et s’efforce d’atténuer l’impression que produisent les Lettres d’un Voyageur. Il serait plus juste de dire que la maladie de foie que George Sand avait héritée de sa mère s’était alors aggravée par suite de ses malheurs.
  2. Lettre inédite.