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ses contes dans la réalité de son existence. Les frais d’imagination ne seraient pas grands[1]. » Nous retrouvons la même pensée et à maintes reprises, chez Tourguéniew, dans ses Souvenirs et ses lettres à propos des Pères et Enfants et de À la Veille. Si l’on met en parallèle les opinions de George Sand et de Tourguéniew avec l’épisode de l’histoire de Kjerkegaard mentionné plus haut, nous sommes bien près de résoudre ce dilemme : Pourquoi, d’une part, dans les œuvres les plus objectives de la littérature, se cache-t-il un motif invisible, subjectif et vécu, et pourquoi, d’autre part, ne faut-il profiter qu’avec une extrême prudence de l’œuvre d’un écrivain, comme matière pour écrire sa biographie ? C’est là, cependant, un usage fort répandu de nos jours et, nous le répétons, c’est là un procédé fort risqué. Plus un homme a de talent, plus il a le don de transformer la réalité en fiction poétique, et plus il est facile au biographe de tomber dans l’erreur. Ce que nous disons s’applique aux productions de la littérature d’imagination non moins qu’aux mémoires, aux souvenirs et aux récits écrits après coup.

Il y a certainement de bien grandes réserves à établir à ce sujet. Il est évident qu’en lisant les Mémoires de Glinka[2], le lecteur a le sentiment que tout cela est vrai, que toutes les choses sont effectivement arrivées comme l’auteur le dit.

Mais combien chacun de nous n’a-t-il pas lu, en sa vie, de « Mémoires » et de « Souvenirs » où chaque ligne provoque le scepticisme !

Il est indubitable que les choses vraies ne passeront pas

  1. Histoire de ma Vie, t. I, ch. 1er.
  2. Michel Glinka, le plus grand des compositeurs russes, né le 2 juin 1804, mort en 1857, auteur de la Vie pour le Tsar et de Rousslan.