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ses héros, qu’il soit pénétré de leurs pensées et de leurs sentiments ; les pages « vécues » se distinguent toujours par un éclat, une force tellement particulière et saisissante que nous avons un terme spécial pour le définir : « C’est pénétré d’un sentiment subjectif, dit-on, d’une chaleur subjective ». Néanmoins, il ne faut jamais perdre de vue que toute page d’une chaleur subjective a dû, nécessairement, passer par le creuset qui se nomme la création, et subir, chez l’écrivain, l’action du travail plus ou moins ardu. George Sand a maintes fois répété elle-même, qu’on ne pouvait se borner à copier servilement la vérité de l’existence quotidienne si l’on voulait atteindre la vérité artistique. En racontant, par exemple, dans le chapitre xv de l’Histoire de ma vie comment le célèbre prélat de Beaumont — son oncle — lui avait servi pour nous dépeindre le chanoine si typique et si plein de caractère, de Consuelo, qui ne ressemble en rien à son prototype, George Sand nous démontre clairement qu’un personnage de roman, pour être bien caractérisé et typique, ne doit point ressembler à une seule personne, réellement existante, mais à un grand nombre de personnages, que jamais un portrait copié directement sur nature ne sera artistiquement vrai, mais sera au contraire, incompréhensible comme type, plein de contradictions et de petits détails confus. Elle répète la même chose dans le dernier volume de l’Histoire de ma Vie à propos de la ressemblance du prince Carol, de Lucrezia Floriani, avec Chopin. Il ne faut pas chercher la vérité de la vie réelle, là où la vérité artistique doit faire loi. Il ne faut pas vouloir retrouver des traits et des personnages réels dans les créations de l’art. « Il serait vraiment trop facile de faire la biographie d’un romancier en transportant les fictions de