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s’accomplir ; ne voulant pas, par son refus, causer trop de chagrin à sa fiancée, il prit la résolution de recourir à un « pieux subterfuge ». Il se mit « à la tourmenter, à l’ennuyer pour se faire prendre en grippe et adoucir par là le désagrément de la rupture. Il s’attacha à se montrer sous le jour le plus désavantageux, afin de passer aux yeux de tout le monde pour un homme frivole, étourdi, dans la conviction que si tout le monde le blâmait, la jeune fille le quitterait plus facilement. Non content de cela il fit tout son possible pour raffermir la jeune fille dans sa foi religieuse, dans la pensée que cela lui donnerait la force de supporter son chagrin ». Cet épisode servit plus tard à Kjerkegaard pour écrire toute une série d’œuvres n’ayant rien de commun entre elles. Dans tous les ouvrages de Kjerkegaard, dans son Don Juan, dans Antigone, dans Abraham et Isaac on voit constamment apparaître le même personnage favori, le même sujet : Un homme aimant, possesseur d’un secret quelconque, souffrant de voir ce secret ignoré de l’être qu’il aime, malheureux de ne l’avoir révélé à personne, recourt à un « pieux subterfuge » afin de ne pas porter un coup irréparable à l’être aimé. Telle est Antigone, qui trompe celui qu’elle aime et qui en souffre, telle est Elvire abandonnée par Don Juan qui la trompe, telle est Abraham qui feint de haïr Isaac, afin que celui-ci ne doute pas de la bonté de Dieu. Le fond du sujet est partout le même, tandis que les figures, sous lesquelles l’auteur l’a successivement incarné, n’ont rien de commun entre elles.

Nous osons affirmer que ceux qui ont l’habitude de chercher dans tout roman, nouvelle ou drame, quel est le personnage qui a servi de modèle pour celui de N. ou de X, — ceux-là n’ont aucune notion du travail de la