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compte de la physionomie totale de l’image qui s’était dressée devant nos yeux durant ces années, tant sur les témoignages de ses contemporains que d’après ses œuvres, où la figure de l’auteur se dessine, pour ainsi dire, à son insu, ou encore d’après les récits où elle parle d’elle-même, volontairement.

Il est temps de donner ici notre avis sur la question que nous avons déjà effleurée en passant, à propos de l’ouvrage de Lindau, à savoir : s’il est possible de profiter d’œuvres d’imagination comme de documents véritablement historiques, pour écrire sur un auteur un ouvrage biographique ? Il est impossible, selon nous, d’accepter, pour données exactes, des faits, des traits et des explications de phénomènes quelconques tirés d’une œuvre de ce même auteur. S’il n’est pas douteux, en effet, que ce qu’écrit l’auteur a été inspiré par des faits réels, des conversations, des événements auxquels il a pris part, il est certain, aussi, que cela a été soumis au travail de la création — à ce procédé chimique qui tire, d’éléments composés, connus de l’auteur et parfois du lecteur, — une nouvelle matière composite, possédant des propriétés toutes différentes, des premiers ingrédients. Le célèbre critique Brandès, dans une conférence qu’il a donnée à Pétersbourg en 1887 sur la Critique littéraire, conférence qui a paru plus tard dans le Messager de l’Europe[1], nous raconte un fait bien caractéristique à propos des métamorphoses extraordinaires auxquelles une première donnée est parfois soumise dans l’âme de l’écrivain, où s’accomplit le lent travail de la transformation. L’écrivain danois, bien connu, Sören Kjerkegaard était fiancé, lorsqu’il se convainquit que son mariage ne pouvait

  1. Messager de l’Europe, octobre-novembre 1887. Quatre Conférences de Georges Brandès.