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est-ce là de sa part un fait inconscient, c’est une question qu’il serait difficile de résoudre. Le point important, c’est que Tourguéniew, lui-même, mentionne à plusieurs reprises le rôle que joua George Sand dans son développement moral. Dans une lettre du 9/21 juillet 1876, adressée à A. Souvorine[1], lettre écrite, par conséquent, bientôt après la mort de George Sand, Tourguéniew rappelle l’admiration enthousiaste qu’elle lui avait autrefois inspirée. Cet « autrefois » se rapporte à ses jeunes années, comme on peut le voir par une autre lettre adressée à Drouginine[2], du 30 octobre 1886 : « Vous dites que je n’ai pu m’en tenir à George Sand ; c’est évident, tout comme je n’ai pu, non plus, m’en tenir à Schiller, par exemple ; mais voici en quoi nous différons tous deux : Pour vous, cette tendance est une erreur qu’il faut extirper, tandis que, pour moi, c’est la vérité imparfaite qui trouvera toujours, qui doit trouver des adeptes dans l’âge auquel la vérité parfaite est encore inaccessible. Vous pensez qu’il est déjà temps d’élever les murs de l’édifice ; mon avis est que nous ne pouvons encore penser qu’à en creuser les fondements. » Il est évident, que George Sand a joué dans la vie de Tourguéniew le rôle du terrassier qui creuse le sol et pose les bases de l’édifice. Et c’est pour cela que, vingt ans après cette lettre à Drouginine, Tourguéniew dit, dans la lettre à Souvorine, dont nous avons parlé quelques lignes plus haut : « Croyez-moi, George Sand est une de nos saintes ; vous comprendrez certainement ce que je veux dire », et, remarquons-le, c’est à l’époque où il con-

  1. Premier recueil des lettres de Tourguéniew. N° 232. (Éd. de la Société de secours aux gens de lettres et aux savants). St. Pétersbourg, 1884.
  2. N° 15. Ibidem. Drouginine, critique et écrivain russe du milieu de notre siècle, ami de Tourguéniew, auteur de Pauline Sax, de Julie, etc.