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Hyacinthe Alexandre Thabaud[1], était plutôt une nature poétique qu’un véritable poète. Doué d’une sensibilité profonde et fine, — maladivement fine, toutes les manifestations du monde extérieur, de l’art, de la pensée, du sentiment l’émouvaient et l’impressionnaient avec une force dont les élus, les artistes, sont seuls capables. Il vibrait au moindre contact, tout trouvait en lui un écho. Cependant, son talent créateur était très inférieur à ce don de réceptivité, et la discordance qui en résultait faisait le malheur de sa vie. Critique excellent des œuvres d’autrui, — c’est lui qui, le premier dans notre siècle, a ressuscité la mémoire d’André Chénier — il n’a écrit que des œuvres médiocres, aujourd’hui oubliées, et il en avait conscience.

Les insuccès aigrirent tellement sa susceptibilité maladive et son esprit enclin au scepticisme, qu’à la fin de sa vie, il fut atteint, comme autrefois Jean-Jacques Rousseau, du délire de la persécution. Il mourut à Aulnay, dans un complet isolement, habitant une petite maison où il se tint caché de tous ses amis. Dans les dernières années de sa vie, sa solitude ne fut partagée que par la jeune poétesse Pauline de Flaugergues, qui entoura le pauvre malade de ses soins filiaux, jusqu’à son dernier soupir. Mais il y avait encore en de Latouche, outre le critique pénétrant, un despote. En indiquant à ses jeunes amis leurs défauts, il exigeait qu’ils travaillassent absolument d’après sa manière à lui. Nous avons déjà vu quels efforts le futur auteur d’Indiana avait dû faire pour satisfaire les exigences littéraires de ce mentor sévère. Sans la moindre pitié, il condamnait au feu et… à l’eau des pages entières enlevées des articles qu’elle avait écrits selon ses préceptes ; il taillait, rognait,

  1. Voir plus haut, p. 318-319.