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Voici le sujet du roman : Lélia d’Alvaro ou d’Almovar, selon la seconde version ne croit plus ni à l’amour, ni aux hommes, ni à Dieu. Elle souffre et languit sous le double poids de l’inaction, étrangère à sa nature ardente, et sous celui de l’analyse qui ronge son cœur. Elle est aimée par Sténio, jeune poète ignorant encore la vie. Elle l’aime ; mais comme dans sa jeunesse elle a beaucoup souffert d’un amour malheureux qu’elle portait à un homme indigne d’elle, elle ne veut pas admettre que leurs rapports deviennent intimes. Une lutte sourde s’engage entre Lélia et Sténio, compliquée encore par la jalousie du poêle envers le mystérieux Trenmor, ancien viveur et libertin, assassin involontaire de sa maîtresse et forçat, qui, par de longues années de souffrances et de repentir, a expié ses fautes et que la méditation sur les problèmes les plus élevés de l’humanité a purifié et conduit dans la voie de l’amour actif du prochain. Quand Sténio apprend l’histoire de Trenmor, sa jalousie se calme, mais il ne peut pardonner à Lélia d’éprouver pour Trenmor une amitié et une estime si profondes[1]. Elle ne lui cache aucune de ses pensées, tandis qu’elle le traite, lui, Sténio, en enfant innocent, veut ne pas l’empoisonner par ses doutes et

    dans le volume édité chez Lévy : Lettres à Sainte-Beuve, et qui n’a été imprimée que dans la Revue de Paris du 15 novembre 1896. (N° IV) se termine par les mots : « J’ai fini Lélia. »

  1. M. Skabitchevsky prétend que Lélia avait d’abord aimé Valmarina-Trenmor et avait été déçue par lui. C’est absolument erroné. Lélia avait dans le temps aimé un certain Ermolao, qu’elle avait même épousé, mais qui ne ressemble en rien à Trenmor. Trenmor reste pour Lélia comme pour George Sand un idéal inaccessible. « Je marche vers l’idée Trenmor, » écrit-elle à Sainte-Beuve dans la lettre de juillet dont nous avons déjà parlé plusieurs fois. Sous « l’idée Trenmor » nous devons évidemment comprendre l’abnégation complète de sa propre individualité au profit de l’humanité. Or, Ermolao ne ressemble en rien à cela. D’un autre côté, Trenmor n’est rien moins qu’un amant, mais bien un ami idéal qui partage toutes les pensées, les goûts, les aspi-