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furent sauvés, mais ils se trouvaient tous dans une position critique. M. Plauchut n’avait sur lui que sa chemise ; mais, par miracle, dans l’affolement du naufrage, il avait eu le temps de saisir un gros volume, espèce d’album[1], contenant les lettres de quelques amis et de plusieurs célébrités, entre autres, celles de George Sand.

À peine vêtus, affamés, blessés, meurtris par les galets du rivage, les naufragés s’expliquèrent par signes, tant bien que mal, avec deux ou trois indigènes accourus à leur secours. Ces indigènes, on le sut plus tard, se réjouissaient à la vue de tout navire brisé à proximité de leur île, parce que leurs seules richesses étaient les épaves que la mer rejetait sur les côtes. Ces nègres et ces métis déclarèrent aux naufragés que la petite ville de Bôa-Vista était située à l’autre extrémité de l’île. Les voyageurs exténués, durent, pour s’y rendre, traverser toute la petite île déserte, couverte de marais salants. À Bôa-Vista, rien de bon ne les attendait. La petite ville venait d’être dévastée elle-même par un cyclone : les habitants avaient l’air de cadavres vivants à la suite de fièvres perpétuelles qui sévissaient dans l’île et décimaient la population. Ce qui causa le plus de peur aux naufragés, ce fut d’apprendre que les navires, par crainte des récifs de Bôa-Vista, n’apparaissaient presque jamais dans ces parages. Les malheureux, avec la crainte incessante de contracter la terrible fièvre, passèrent quelques jours soutenus par le vain espoir d’apercevoir un filet de fumée ou une voile à l’horizon. Désespéré, le capitaine du Rubens prit le parti de s’embarquer sur une chaloupe

  1. Dans le Tour du monde en 120 jours, cet album figure sous le nom d’une « cassette ». Mais nous l’avons vu nous-même, nous avons vu les traces de l’eau de la mer sur ses feuillets ; c’est un gros registre in-8°, relié en cuir.