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pas assez connu l’amour moral pour tolérer l’autre, j’étais atteinte de cette inquiétude romanesque, de cette fatigue qui donne des vertiges et qui fait, qu’après avoir tout nié, on remet tout en question et l’on se met à adopter des erreurs beaucoup plus grandes que celles qu’on a abjurées. Ainsi, après avoir cru que des années d’intimité ne pouvaient pas me lier à une autre existence, je m’imaginai que la fascination de quelques jours déciderait de mon existence. Enfin je me conduisis à trente ans, comme une fille de quinze ne l’eût pas fait. Prenez courage… le reste de l’histoire est odieux à raconter. Mais pourquoi aurais-je honte d’être ridicule, si je n’ai pas été coupable ?

« L’expérience manqua complètement. Je pleurai de souffrance, de dégoût, de découragement. Au lieu de trouver une affection capable de me plaindre et de me dédommager, je ne trouvai qu’une raillerie amère et frivole. Ce fut tout, et l’on a résumé cette histoire en deux mots que je n’ai pas dits, que Mme Dorval n’a ni trahis, ni inventés, et qui font peu d’honneur à l’imagination de M. Dumas[1]. »

Cette dernière phrase semble ne pas s’accorder avec la page inédite que nous trouvons dans les Sketches and

  1. M. Augustin Filon, le biographe de Mérimée, dit, en racontant cet épisode de sa vie : « Le court passage de Mérimée dans les bonnes grâces de Mme Sand est un fait d’histoire littéraire sur lequel s’est greffée une légende assez amusante. D’après cette légende, Sainte-Beuve, voyant que Mme Sand était seule et souffrait de cette solitude, lui aurait « donné » Mérimée, et dès le lendemain, George Sand lui aurait écrit pour lui rendre et pour lui reprocher ce cadeau. Il n’est pas vrai que Sainte-Beuve ait joué ce rôle trop bienveillant et qu’il ait béni l’union civile de Mérimée et de Mme Sand. Mais il est exact qu’il reçut des confidences et des plaintes. La lettre — (c’est celle dont nous reproduisons ici une partie) — parait-il, existe encore… Cette lettre circula et fit du tort à Mérimée. D’ordinaire très discret, mais impatienté de ces cancans, il se serait vengé en racontant sur sa bonne ou sur sa mauvaise fortune des détails plus gais que bienséants. Eût-il réellement ce tort ?…