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droits de la nature ; sur l’injustice qu’il y a de mesurer autrement la morale de l’homme et celle de la femme, etc. La jeune femme inexpérimentée qui venait de goûter au fruit défendu et l’avait trouvé médiocrement doux, eut comme un vertige au milieu de tous ces paradoxes et de toutes ces contradictions. Et, en même temps, s’éveillèrent en elle les indomptables instincts de la fière indépendance. C’était un trait de caractère qui s’était manifesté chez elle depuis l’enfance. Le moindre joug, la moindre pression de la part de ceux qui l’entouraient suffisaient pour faire surgir en elle l’esprit de contradiction et lui faire « prendre le mors aux dents ». Les années de sourde révolte et de mécontentement qu’elle avait passées à Nohant avaient aiguisé et développé à l’excès cet esprit de contradiction, et, à ce moment, il se produisit en elle quelque chose de semblable à ce qui avait éclaté, lorsque la grand’mère lui avait révélé le passé et la nature de sa mère. Comme alors, le chagrin de se voir déçue dans ce qu’elle avait de plus cher au monde, le mal irréparable, l’absence de toute espérance en un avenir meilleur, amenèrent Aurore au plus dangereux, au plus funeste de tous les états d’esprit : à l’apathie morne, à l’indifférence désespérée. « Eh bien, s’il en est ainsi, tout m’est égal, » semblait-elle se dire. « Ah ! ils ne cherchent dans l’amour que le plaisir, ils s’adonnent à chaque nouvelle passion sans daigner regarder en arrière, ils disent que dans leurs liaisons sans nombre ils finissent par trouver le véritable amour, ce sentiment sans égal, tout puissant et justifiant tout, prêché par Les romantiques. Très bien ! Pourquoi la femme ne ferait-elle pas de même ? Pourquoi doit-elle seule payer les malheurs et les insuccès ? Qu’en sait-elle ? Peut-être ses sentiments précédents n’ont-ils été qu’une série de