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panique devant « l’affreuse femme », en même temps si désireux d’apprendre quelque chose d’elle : ils craignent tant d’avouer leur curiosité ou d’adresser la parole à Laurence et plus tard sont si pressés d’assurer qu’ils ont été justement « les premiers à causer avec elle et qu’ils se sont mis au-dessus des préjugés » qu’on arrive involontairement à conclure que la calme Mme  Aurore Dudevant, tout en faisant ses confitures, en taillant des gilets ou en jouant des contredanses à quatre mains avec Dutheil ou Périgny, n’avait pas mal réussi à récolter d’heureuses observations sur les petitesses provinciales et qu’elle avait peut-être même eu l’occasion d’en faire l’épreuve sur sa propre personne, Lorsque, de femme effacée d’un insignifiant gentillâtre, elle s’était faite, elle aussi, artiste et « femme affreuse ». On peut même croire que George Sand a vécu pareil retour au pays natal, retour qui aura remué le lac dormant de La Châtre. Si elle ne l’a pas vécu personnellement, elle connaissait du moins toutes les conditions locales pour se l’imaginer et le dépeindre avec une vérité frappante. On croit aussi lire des pages de journal intime dans les lignes suivantes : « C’était affreux, cette pauvre ville, et pourtant j’y ai passé des années de jeunesse et de force ! J’étais bien autre alors… J’étais pauvre de condition, mais j’étais riche d’énergie et d’espoir, le souffrais bien ! Ma vie se consumait dans l’ombre et l’inaction ; mais qui me rendra ces souffrances d’une âme agitée par sa propre puissance ? Ô jeunesse de cœur ! qu’êtes-vous devenue ?… »

Mais revenons à notre récit. Après avoir soumis et enchanté les habitants de Saint-Front par la vivacité de son caractère, le charme qui émane d’une artiste, la grâce de toute sa personne, Laurence quitte la ville ; elle quitte la