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Paris, et dans quel Paris ? Dans ce Paris de 1831, au lendemain d’une révolution, lorsque la vie sociale, artistique et intellectuelle, ressemblait à une mer après une tempête, quand ses flots, non encore calmés, rejettent sur la plage de beaux coquillages, de merveilleuses herbes marines, des perles précieuses, mais aussi des monstres expirés, des mollusques repoussants et des épaves de navires brisés. La littérature, les arts, les doctrines sociales, la religion, tout était en fermentation, tout semblait renaître à une vie nouvelle ; chaque jour, surgissaient de nouveaux écrivains et de nouveaux livres, de nouveaux prédicateurs et de nouveaux systèmes, de nouvelles pièces de théâtre et de nouveaux projets de bonheur universel. Et tout cela, il fallait le connaître au plus vite, le voir, l’entendre ; il fallait, en outre, ne plus être une campagnarde arriérée, plonger dans le tourbillon de la vie parisienne, saisir au vol l’esprit du temps « être dans le train », selon l’expression des héroïnes de Gyp, mot que George Sand n’aurait certes pas employé, mais ce qu’elle nous dit à ce propos en a bien le sens : « … J’étais avide de me déprovincialiser et de me mettre au courant des choses, au niveau des idées et des formes de mon temps ».

Elle avait l’air de vouloir rattraper le précieux temps perdu à Nohant et à La Châtre, dans une vie uniforme, banale, dénuée de tout intérêt[1]. Elle avait trop peu de vingt-quatre heures par jour pour voir, entendre, prendre connaissance de tout ce qui l’intéressait. Comme Liszt, autre génie de l’époque, elle courait, du musée du Louvre à l’église, pour entendre le prédicateur célèbre ; d’une conférence au théâtre, pour entendre chanter la Mali-

  1. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 80.