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rêver, moi qui, jusqu’ici, fermais les yeux et ne voulais pas voir que j’étais méprisée. Cette lecture m’a enfin tirée de mon sommeil. Je me suis dit que, vivre avec un homme qui n’a pour sa femme ni estime ni confiance, ce serait vouloir rendre la vie à un mort. Mon parti a été pris et, j’ose le dire, irrévocablement. Vous savez que je n’abuse pas de ce mot. Sans attendre un jour de plus, faible et malade encore, j’ai déclaré ma volonté et décliné mes motifs avec un aplomb et un sang-froid qui l’ont pétrifié. Il ne s’attendait pas à voir un être comme moi se lever de toute sa hauteur pour lui faire tête. Il a grondé, disputé, prié. Je suis restée inébranlable. Je veux une pension, j’irai à Paris, mes enfants resteront à Nohant. Voilà le résultat de notre première explication »… La pauvre femme continue en lui disant que, naturellement, elle n’a aucune envie d’abandonner ses enfants, que ce n’était là qu’une feinte pour faire peur à Dudevant, qu’elle ne partira que si Boucoiran se décide à rester avec Maurice à Nohant, mais qu’en tout cas, elle a résolu de passer dorénavant six mois à Paris et « six mois à Nohant, près de mes enfants, voire près de mon mari que cette leçon rendra plus circonspect. Il m’a traitée jusqu’ici comme si je lui étais odieuse. Du moment que j’en suis assurée, je m’en vais. Aujourd’hui il me pleure, tant pis pour lui ! Je lui prouve que je ne veux pas être supportée comme un fardeau, mais recherchée et appelée comme une compagne libre, qui ne demeurera près de lui que lorsqu’il en sera digne. Ne me trouvez pas impertinente. Rappelez-vous comme j’ai été humiliée ! cela a duré huit ans ! » Puis elle prie Boucoiran de lui garder là-dessus le secret et le prie de lui adresser la réponse « poste restante. Ma correspondance n’est plus en sûreté »…