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ni reproches dès que mon parti fut pris. De quoi me serais-je plainte ? Que pouvais-je exiger ? Pourquoi aurais-je tourmenté cette belle et bonne âme, gâté cette vie pleine d’avenir ? Il y a d’ailleurs un point de détachement où celui qui a fait le premier pas ne doit plus être interrogé et persécuté, sous peine d’être forcé de devenir cruel ou malheureux. Je ne voulais pas qu’il en fût ainsi. Il n’avait pas mérité de souffrir, lui, et moi, je ne voulais pas descendre dans son respect en risquant de l’irriter. Je ne suis pas si j’ai raison de regarder la fierté comme un des premiers devoirs de la femme, mais il n’est pas en mon pouvoir de ne pas mépriser la passion qui s’acharne. Il me semble qu’il y a là un attentat contre le ciel, qui seul donne et reprend les vraies affections. Un ne doit pas plus disputer la possession d’une âme que celle d’un esclave. On doit rendre à l’homme sa liberté, à l’âme son élan, à Dieu la flamme émanée de lui. Quand ce divorce tranquille, mais sans retour, fut consommé, j’essayai de continuer l’existence que rien d’extérieur n’avait dérangée ni modifiée ; mais cela fut impossible. Ma petite chambre ne voulait plus de moi… »

Aussitôt après, George Sand raconte en termes si indiciblement touchants la ruine de ses rêves, que nous n’osons pas exposer prosaïquement à nos lecteurs cette page de sa vie, nous préférons la citer textuellement : « J’habitais alors l’ancien boudoir de ma grand’mère parce qu’il n’y avait qu’une porte et que ce n’était un passage pour personne, sous aucun prétexte que ce fût. Mes deux enfants occupaient la grande chambre attenante. Je les entendais respirer et je pouvais veiller sans troubler leur sommeil. Ce boudoir était si petit, qu’avec mes livres, mes herbiers, mes papillons et mes cailloux (j’allais toujours m’amusant de l’histoire naturelle, sans rien apprendre), il n’y avait pas de