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je gouvernais et de refuser le nécessaire à ceux que je ne gouvernais pas. Je ne résistais à rien de ce qui m’était imposé ou conseillé, mais je ne savais pas m’y prendre. Je m’impatientais et j’étais débonnaire. On le savait et on en abusait souvent. Ma gestion ne dura qu’une année. On m’avait prescrit de ne pas dépasser 10.000 francs, j’en dépensais 14.000, de quoi j’étais penaude comme un enfant pris en faute. J’offris ma démission, et on l’accepta[1]… »

Aurore se mit alors à s’occuper plus activement des soins médicaux qu’elle donnait aux villageois. Que l’on nous permette ici une petite digression. Nous ne comprenons nullement le ton condescendant que prend M. Skabitchevsky (dans les articles qu’il a écrits sur G. Sand)[2] en parlant des soins qu’elle prodiguait aux paysans, comme des secours prêtés aux paysans russes par quelques-unes de nos dames propriétaires. Les paysans du Berry étaient, entre 1820 et 1830, aussi ignares, aussi grossiers, aussi dénués d’assistance que chez nous en Russie. L’assistance médicale, comprise comme la pratiquait Aurore Dudevant, comme l’exercent les dames propriétaires en Russie, M. Skabitchevsky l’envisage comme une petite philanthropie qui ne mérite que le sourire ; il ne voit pas que c’est là le premier rayon de lumière qui pénètre en cette masse encore plongée dans un profond obscurantisme, le premier pas pour l’éloigner des devins, des préjugés, de la saleté, de l’ignorance, et pour rendre aux paysans la vie plus humaine et plus éclairée. C’est ce que fit cependant Aurore Dudevant pour ses Berrichons. Tout en lavant et en pansant leurs plaies, en préparant ses sirops et ses mix-

  1. Histoire de ma Vie, t. IV. p. 62.
  2. Annales de la Patrie. (Otétchestvénya Zapjski), 1881