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gai, mais Aurore parle tout autrement de cette même journée dans l’Histoire de ma Vie, où elle copie des fragments de son journal. On y entend comme un son fiévreux ; le ton s’élève, et le lecteur, à ce ton seul, sent involontairement que quelque chose de particulier est entré ce jour-là dans la vie d’Aurore.

… « L’entrée de la grotte n’était pas attrayante… Mais une promenade de plusieurs heures dans ce monde souterrain fut un enchantement véritable. Des galeries, tantôt resserrées, étouffantes, tantôt incommensurables à la clarté des torches, des torrents invisibles, rugissant dans les profondes entrailles de la terre, des salles bizarrement superposées, des puits sans fond, c’est-à-dire des gouffres perdus dans les abîmes impénétrables et battant avec fureur leurs parois sonores de leurs eaux puissantes, des chauves-souris effarées, des portiques, des voûtes, des chemins croisés, toute une ville fantastique, creusée et dressée par ce que l’on appelle bénignement le caprice de la nature, c’est-à-dire par les épouvantables convulsions de la formation volcanique : c’était un beau voyage pour l’imagination, terrible pour le corps : mais nous n’y pensions pas. Nous voulions pénétrer partout, découvrir toujours. Nous étions un peu fous, et le guide menaçait de nous abandonner. Nous marchions sur des corniches au-dessus d’abîmes qui nous rappelaient l’enfer du Dante ; il y en eut un où nous voulûmes descendre… Nous revînmes à cheval pendant la nuit par une pluie fine et un clair de lune doucement voilé. Nous étions à Bagnères à deux heures du matin. J’étais plus excitée que lasse et je ressentis, pendant mon sommeil, le phénomène de la peur rétrospective. Je n’avais songé, dans les spélonques, qu’à rire et à oser. Dans mes songes, la cité souterraine m’apparut dans toutes ses terreurs. Elle se