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une dose de cœur et un degré d’intelligence qui ne courent pas les rues. Il y a, au sacrifice, des compensations qu’un esprit vulgaire peut apprécier. L’approbation du monde, la douceur routinière de l’usage, une petite dévotion tranquille et sensée qui ne tient pas à s’exalter, ou bien de l’argent, c’est-à-dire des jouets, des chiffons, du luxe : que sais-je ? Mille petites choses qui font oublier qu’on est privé du bonheur. Alors tout est bien apparemment, puisque le grand nombre est vulgaire ; c’est une infériorité de jugement et de bon sens que de ne pas se contenter du goût du vulgaire ». (George Sand t’ait sans doute allusion ici aux gronderies de son mari, aux reproches qu’il lui faisait de manquer d’esprit et de jugement).

« Il n’y a peut-être pas de milieu entre la puissance des grandes âmes qui fait la sainteté, et le commode hébétement des petits esprits qui fait l’insensibilité.

« Si fait, il y a un milieu : c’est le désespoir…

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« Mais il y a aussi l’enfantillage, bonne et douce chose à conserver, quoi qu’on en dise.

« Courir, monter à cheval, rire d’un rien, ne pas se soucier de la santé et de la vie ! Aimée me gronde beaucoup. Elle ne comprend pas qu’on s’étourdisse et qu’on ait besoin d’oublier. « Oublier quoi ? « me dit-elle. — Que sais-je ? Oublier tout, oublier surtout qu’on existe[1]… »

On s’aperçoit dans le fragment qu’on vient de lire qu’il se passe déjà quelque chose de très sérieux. On y sent cette secrète agitation, précurseur de l’orage : l’air est saturé d’électricité, au loin brillent déjà des éclairs, et d’un moment à l’autre le tonnerre va éclater, et la tempête dévastatrice va

  1. Histoire, t. IV. p. 10 14.