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« On ne pense pas même au danger. Mon mari est des plus intrépides. Il va partout et je le suis. Il se retourne et il me gronde. Il dit que je me singularise. Je veux être pendue si j’y songe. Je me retourne, et je vois que Zoé me suit. Je lui dis qu’elle se singularise. Mon mari se fâche parce que Zoé rit. Mais la pluie des cataractes est un grand calmant, et on s’y défâche vite »[1]. On le voit, tout cela n’est encore ni trop sérieux, ni trop sombre. Mais voici une autre page bien capable de rendre songeur tout lecteur attentif, car il n’est que trop évident que de telles pensées ne sont pas le fait d’une femme heureuse, mariée à peine depuis trois ans.

… « Dans le rêve qu’il est permis de faire d’un amour parfait, l’époux ne se créerait pas volontiers la nécessité continuelle de l’absence. Quand des devoirs inévitables, des occupations sérieuses la lui auraient imposée, la tendresse qu’il éprouverait et qu’il inspirerait au retour serait d’autant plus vive et mieux fondée. Il me semble que l’absence subie à regret doit être un stimulant pour l’affection, mais que l’absence cherchée passionnément par l’un des deux est une grande leçon de philosophie et de modestie pour l’autre. Belle leçon sans doute, mais bien refroidissante !

« Le mariage est beau pour les amants et utile pour les saints.

« En dehors des saints et des amants, il y a une foule d’esprits ordinaires et de cœurs paisibles qui ne connaissent pas l’amour et ne peuvent atteindre à la sainteté.

« Le mariage est le but suprême de l’amour. Quand l’amour n’y est plus, ou n’y est pas, reste le sacrifice.

— Très bien pour qui comprend le sacrifice. Cela suppose

  1. Histoire, t. IV. p. 16.