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vie qu’à Bordeaux et à Paris, se souciant même de trier leurs connaissances. D’autres, comme Zoé et Aurore, se traitaient à la diable ou ne se traitaient pas du tout, passant les journées entières à se promener ou à faire des excursions dans les montagnes. Aurore continuait à tousser et à être malade, mais ne se lassait jamais d’aller par monts et par vaux. « Le mouvement m’a saisie comme une fièvre. Je tousse et j’étouffe à chaque instant, mais je ne sais pas si je souffre. Oui, au fait, je souffre, je m’en aperçois quand je suis seule[1]. »

Dans l’âme d’Aurore couvait, dès son enfance, l’amour de la nature et elle en comprenait instinctivement la beauté. Encore enfant, elle charmait sa grand’mère par ses premiers essais de descriptions : d’un « clair de lune », d’un « orage », etc. Ici, au milieu du spectacle majestueux des montagnes, de la sombre poésie des Pyrénées, ce vague sentiment poétique s’était tout à coup éveillé avec une nouvelle force et était devenu pleinement conscient. À peine arrivée aux Pyrénées, Aurore fut éprise de leur terrifiante beauté.

« Enfin, nous sommes entrés dans Les Pyrénées, — écrit-elle sur son carnet, — la surprise et l’admiration m’ont saisie jusqu’à l’étouffement. J’ai toujours rêvé les hautes montagnes. J’avais gardé de celles-ci un souvenir confus qui se réveille et se complète à présent ; mais ni le souvenir, ni l’imagination ne m’avaient préparée à l’émotion que j’éprouve…[2]. »

« Je suis dans un tel enthousiasme des Pyrénées que je ne vais plus parler et rêver toute ma vie que mon-

  1. Histoire de ma Vie, t. IV. p. 20.
  2. Ibidem, p. 11.