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sentant plus d’accord avec mes propres instincts, je tombais dans une tristesse effroyable.

« Il éprouvait probablement quelque chose d’analogue sans s’en rendre compte, et il abondait dans mon sens quand je lui parlais de nous entourer et de nous distraire. Si j’avais eu l’art de nous établir dans une vie un peu extérieure et animée, si j’avais été un peu légère d’esprit, si je m’étais plu dans le mouvement des relations variées, il eût été secoué et maintenu par le commerce du monde. Mais je n’étais pas du tout la compagne qu’il lui eût fallu. J’étais trop exclusive, trop concentrée, trop en dehors du convenu. Si j’avais su d’où venait le mal, si la cause de son ennui et du mien se fût dessinée dans mon esprit sans expérience et sans pénétration, j’aurais trouvé le remède ; j’aurais peut-être réussi à me transformer : mais je ne comprenais rien du tout à lui ni à moi-même[1]. »

Toute la cause de leur malentendu résidait en la complète médiocrité, la pauvreté morale, le manque d’esprit et le peu d’élévation d’âme de Dudevant. Comment ces deux natures eussent-elles pu s’harmoniser ? D’un côté, un gentillâtre assez nul, un homme fort médiocre, indifférent à tous les travaux de l’esprit, de l’autre, une âme passionnée, ardente, vivant d’une vie intérieure intense, cherchant par toutes les voies la lumière et la vérité, allant même, lorsqu’elle n’avait encore que dix-sept ans, jusqu’à la pensée du suicide, non par suite de quelque insuccès personnel, mais à cause de la petitesse et de l’instabilité de tout ce qui est terrestre, une de ces âmes dont Mme  Allart dit en parlant de Sainte-Beuve « qu’elles sont tourmentées des choses divines ». Quelque petite provinciale avenante, sans

  1. Histoire de ma Vie, t. II, p. 442.