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Certes, si sa grand’mère eût encore été vivante, et si la vie d’Aurore à Paris avait été heureuse et calme, elle n’eût pas agi avec tant d’empressement.

Cette résolution, que nous attribuons uniquement à la tristesse de ses jeunes années et aux conditions pénibles de sa vie de famille, eut une influence funeste sur le sort d’Aurore Dupin et sur le développement de son idéal social et moral. Si elle avait fait un mariage d’amour, si son mari l’avait comprise, se fût montré digne d’elle, lui eût été égal en grandeur d’âme, et qu’il y eût eu harmonie et bonheur dans leur vie conjugale, qui sait si nous aurions eu l’écrivain George Sand et si cet écrivain eût soulevé ces « questions féminines » qui sont si étroitement liées à plusieurs de ses romans.

Il y aurait trop de naïveté à croire qu’il n’y a que les mariages d’amour passionné qui donnent le bonheur et le calme à la vie de famille. La vie conjugale, pour être heureuse et tranquille, est ordinairement soumise à trois conditions ; si ces trois conditions sont réunies, c’est alors le bonheur idéal. Il faut d’abord qu’il y ait similitude, ou, du moins, une certaine égalité dans le niveau des exigences intellectuelles, des intérêts, des goûts et des croyances, d’une entente mutuelle et d’une harmonie morale, qui, réunies ensemble, tiennent finalement lieu de véritable bonheur et amènent cette même union paisible, qui est aussi l’épilogue des amours passionnées. Il faut, en second lieu, ce vif amour réciproque, qui fait que les époux se chérissent malgré tout, se pardonnent tout, même la différence et l’inégalité des opinions, des intérêts et des croyances, Troisièmement, il faut un certain savoir-vivre extérieur, c’est-à-dire de la patience, de la tolérance, de la dignité et du respect dans les relations avec le compagnon de vie