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différence de vie, d’intérêts, d’habitudes avec l’existence tranquille, consacrée à la lecture, aux occupations intellectuelles et sérieuses d’Aurore à Nohant ! Sans compter que tout ce milieu parisien de tapage, de bruit, d’agitation et de bagarre dont Sophie ne pouvait se passer, était insupportable à Aurore, cette adoratrice de l’immensité des champs et du silence des bois.

Chaque jour les relations d’Aurore avec sa mère prenaient une nouvelle aigreur, non pas qu’elle opposât rien de semblable aux sorties furibondes de Sophie, mais précisément parce qu’elle les supportait avec patience, cachant souvent, sans rien dire, le mécontentement et le chagrin qui la rongeaient d’autant plus vivement et qui lui faisaient plus souvent s’avouer à elle-même, avec terreur, que la tendresse passionnée qu’elle avait autrefois portée à sa mère s’était changée en une sorte d’indifférence dédaigneuse.

L’humeur d’Aurore devenait de plus en plus sombre, elle était tombée dans une telle apathie morale, qu’elle finit par en être malade ; il y eut des jours où elle ne pouvait rien avaler, tant sa gorge était nerveusement contractée.

La mère et la fille avaient comme changé de rôle : la patience, le calme, l’indulgence étaient du côté de la fille ; le déchaînement, les continuels changements d’humeur, les brusques transitions de la colère aux larmes, du chagrin à la joie, étaient du côté de la mère. La mère s’excusait, la fille pardonnait. La mère se mettait en rage, la fille s’efforçait, autant qu’elle le pouvait, de ne pas donner motif à ces colères, comme on éloigne d’un enfant capricieux tout ce qui pourrait, ne fût-ce qu’une seule fois, donner prise à ses caprices. La position n’était pas naturelle, les deux partis rêvaient aux moyens de mettre fin à cette torture insupportable. Une occasion favorable s’offrit bientôt.