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et blessaient la jeune fille jusqu’au fond de l’âme. Et c’était là cette mère qu’elle avait autrefois adorée, qu’elle avait aspiré à revoir, avec qui elle avait rêvé de vivre comme si c’eût été le bonheur suprême : cette mère pour qui elle avait tant de fois accusé sa grand’mère et à qui elle avait obéi pour désobéir aux dernières volontés de son aïeule ! La jeune fille sentit alors plus vivement que jamais combien elle était seule au monde. Le vie devenait dure à Aurore. Du matin au soir sa mère avait recours à tous les prétextes, à tous les motifs pour l’accabler de ses reproches, de ses réprimandes, de ses invectives et même de coups. La moindre contradiction la mettait hors d’elle-même ; elle éclatait en un torrent d’injures, en accusations incroyables. Parfois ces accès d’emportement allaient jusqu’au paroxysme d’une vraie démence. La grand’mère avait déjà prévenu Aurore que ces accès allaient souvent, surtout au printemps, jusqu’à l’aliénation mentale. Aurore put alors se convaincre que sa grand’mère disait vrai.

Ces scènes faisaient place à d’autres scènes non moins orageuses : caresses et tendresses impétueuses, larmes, pardons à genoux, suivies de nouveaux reproches humiliants, de criailleries insensées, et de la répétition d’incroyables accusations mensongères qu’elle avait entendues. À côté de cela qu’on se figure le perpétuel remue-ménage, la futilité et la légèreté de cette petite Parisienne, ses désespoirs à propos d’un chapeau mal acheté, ou ses transports de joie à l’occasion du rafistolage réussi d’un autre, ses perpétuels changements de logements, de domestiques, des restaurants où elle dînait, de passe-temps et de manière de vivre, voire de la couleur des perruques qu’elle variait, pour ainsi dire, d’un jour à l’autre, quoiqu’elle eût elle-même des cheveux noirs magnifiques et abondants ! Quelle