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en présence d’Aurore, de Sophie, des Villeneuve, de Deschartres et de quelques amis intimes, et qu’on en vint à lire la clause mentionnée, Sophie fut hors d’elle-même, fit à tous ceux qui étaient là une scène épouvantable, déclara qu’elle ne céderait jamais à personne les droits qu’elle avait sur sa fille, qu’elle la prendrait chez elle, et qu’elle ne voulait rien entendre à ce sujet. Elle accabla de reproches Deschartres qu’elle haïssait et regardait comme son plus grand ennemi, et sa fille dont elle ne s’était plus du tout occupée depuis plusieurs années et qu’elle n’avait nullement pensé à aider pendant les longs mois où Aurore était restée seule avec sa grand’mère mourante et son vieux gouverneur ; elle accabla aussi d’injures la défunte elle-même sans mesurer ni ses accusations, ni ses expressions. Elle ne put retenir sa colère, jeta sa pauvre fille dans un grand désespoir et lui fit comprendre, pour la première fois de sa vie, qu’il y avait en effet un gouffre entre elles deux. Tout les séparait : la différence de nature qu’Aurore tenait de son père plus que de sa mère, et l’éducation ! Élevée d’abord sous la direction de son aïeule, femme d’une culture élégante et de grande instruction, puis au couvent des Anglaises, elle s’était par là encore éloignée de sa mère, qui l’aimait d’un amour sincère et ardent, mais qui, elle-même, était vulgaire, extravagante, disons même un peu grossière, et parfois irresponsable de ses actions au point de paraître détraquée. Sans revenir sur les détails de l’adolescence d’Aurore, nous nous contenterons de rappeler ici que l’éducation catholique qu’elle reçut au couvent, avait développé en elle l’esprit d’analyse et une tendance vers les aspirations spiritualistes. Sa pensée avait pris une force nouvelle sous l’influence des œuvres poétiques et philosophiques qu’elle aimait à lire et qui étaient devenues, depuis quelque temps, une véritable