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dans les habitudes de sa grand’mère, frappèrent tellement Aurore que, rentrée dans sa chambre et faisant de la musique, elle s’en réjouit d’abord involontairement, comme d’une victoire qu’elle venait de remporter, puis fut tout alarmée de ce qui venait de se passer d’extraordinaire. Elle se trouva si inquiète qu’elle redescendit pour voir si sa grand’mère dormait. Tout était tranquille. Cependant, le matin, elle fut éveillée par Deschartres qui lui annonça que, pendant la nuit, la vieille Mme  Dupin avait eu un coup d’apoplexie, qu’on avait réussi à la réchauffer et à la ranimer, mais qu’elle avait un côté paralysé. Grâce au médecin et aux soins qu’on lui prodigua, la malade recouvra l’usage de ses membres, et aux approches de l’été elle put se mouvoir un peu et faire des siestes au jardin. Néanmoins elle ne vécut plus, elle végéta ; lentement et pas à pas elle s’approchait de la destruction finale. Elle s’y plongeait déjà, car le lendemain de son coup d’apoplexie, Deschartres constata, à la consternation d’Aurore, que les divagations de la vieille dame n’étaient pas du délire, mais l’enfance.

La jeune fille se vit soudain maîtresse de maison et de sa propre existence et le fut pendant près de dix mois. Nous signalons dès à présent à l’attention du lecteur l’importance de ces dix mois de liberté individuelle et absolue dans l’évolution de l’esprit, du caractère et des habitudes de la future George Sand.

Les derniers jours qui avaient précédé la nouvelle maladie de sa grand’mère, Aurore lui avait lu l’ouvrage de Chateaubriand. Assise pendant de longues nuits dans la chambre de la malade, elle avait eu le temps de lire et de relire le livre. Elle fut charmée et surprise par la beauté et la poésie dont Chateaubriand revêtait le christianisme. Elle