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guer des grandes et belles qualités foncières de la nature de son aïeule. Elle comprit combien son esprit était profond et sérieux, quelle âme habitait ce corps faible et fragile. « Sortant moi-même des ténèbres de l’enfance, je pouvais enfin profiter de son influence morale et du bienfait intellectuel de son intimité. » Dès lors Aurore aima son aïeule de tout son cœur et n’eut plus d’autre désir que de mériter son approbation et de lui ressembler.

Malheureusement, elle ne put jouir longtemps de cette intimité et de cette bienfaisante influencé. Un jour, pendant qu’elle lisait le Génie du Christianisme à sa grand’mère, qui commentait, comme toujours, la lecture avec esprit et finesse, celle-ci l’interrompit en disant quelque chose de tout à fait incohérent. C’était le délire. Un moment après, revenue à elle, elle étonna bien davantage encore sa lectrice en lui disant, qu’elle avait refusé un vieux général de l’Empire, homme du plus grand monde, qui avait demandé la main d’Aurore par l’entremise de son cousin René de Villeneuve, et l’avait refusé non à cause de son âge et de ses blessures, disait-elle, mais parce qu’il avait posé comme condition qu’Aurore ne pourrait voir sa mère. L’aïeule conquit alors définitivement l’affection de sa petite-fille en lui avouant combien elle avait eu tort dans le temps d’avoir voulu l’éloigner de sa mère. Elle lui fit connaître les raisons qui l’avaient portée à agir ainsi et à craindre pour elle l’intimité de sa mère, ainsi que la peur que lui avait inspirée son mysticisme de l’année précédente. Maintenant qu’elle la savait raisonnable, attachée aux occupations intellectuelles, raisonnablement pieuse, elle se sentait tout à fait rassurée, ne la pressait pas de se marier et lui disait de ne pas s’inquiéter à ce sujet.

Cette critique de soi-même et ce repentir sincère, si peu