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mettait des diamants à ses oreilles et du rouge à ses pommettes, présidait les repas et « tenait ensuite son salon », c’est-à-dire que pendant plusieurs heures elle causait très agréablement sans donner aucun signe de défaillance ou d’infirmité. Mais cette contrainte qu’elle s’imposait lui coûtait de plus en plus, elle devait s’enfermer des journées entières dans ses appartements pour se reposer de la fatigue des longues réceptions. Avec l’arrivée de l’automne, la vieille dame ne quitta plus sa chambre. Aurore passait avec elle des heures entières, lui faisant la lecture, jouant avec elle et Deschartres au grabuge, pinçant de la harpe ou touchant du piano pour faire plaisir à son aïeule, ou s’entretenant avec elle sur différents sujets. C’est alors qu’elle s’aperçut que l’instruction reçue au couvent était bien insuffisante auprès des connaissances de Mme  Dupin. Animée d’un beau zèle, elle se mit à travailler, à étudier. Elle ne pouvait pourtant s’occuper qu’après dix heures du soir, lorsque Mme  Dupin procédait à son grand coucher — ce qui constituait une solennité. Deux femmes de chambre lui passaient sa douillette de satin piqué, son bonnet enrubanné, lui mettaient entre les mains des mouchoirs brodés, des bagues, des tabatières, dites « de nuit » et la couchaient à demi assise, appuyée contre un tas d’oreillers de dentelles.

Après les dix heures, Aurore était donc libre et pendant les calmes heures de la nuit, souvent jusqu’à l’aube, elle tâchait de réparer le temps perdu au couvent et de suppléer aux lacunes de son instruction. Elle lisait tout ce que sa grand’mère lui avait recommandé, et, comme autrefois Marie-Aurore elle-même, prenait des notes et faisait des résumés. Dans sa chambre elle jouait de la harpe, déchiffrait à livre ouvert des partitions ; en général, elle