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conte la vie tragique d’une jeune fille, qui, par inexpérience et pour obéir à ses parents, avait pris le voile. Cette jeune fille ; lorsque son cœur se fut éveillé à la vie et à l’amour, se vit avec terreur ensevelie toute vivante dans un couvent. Après d’incroyables tortures morales elle en arriva aux suprêmes limites de la souffrance humaine, à la folie, à la réclusion dans un in-pace, à la mort, loin de toute communication avec le monde des vivants. Et cette pauvre petite Capinera était une âme douce et simple, une petite bourgeoise italienne insignifiante, qui ne s’était élevée au-dessus du niveau commun que par la force de son amour et au prix de ses épreuves terribles. Mettons à sa place l’âme ardente et agitée d’une Aurore Dupin avec ses élans et ses brusques contrastes, avec son ardeur et sa force, avec son imagination, sa foi exaltée et ses moments de doute cuisant, avec son talent d’artiste qui ne cherchait que l’occasion de se déployer ! Quelle horreur ! On ne peut que féliciter Aurore de ce que l’abbé de Prémord était moins catholique qu’elle-même, qu’il ne faisait pas de prosélytisme et qu’il fut un bon prêtre jésuite très indulgent, un peu mondain et plus préoccupé de ne pas fâcher les parents de ses élèves que soucieux de gagner à l’autel une nouvelle « fiancée du Christ » !

Aurore ne savait ni aimer, ni croire avec tiédeur, elle ne savait qu’adorer à l’excès ; elle était devenue plus catholique que son confesseur, était éternellement mécontente d’elle-même, craignait sans cesse de tomber tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre péché ; du matin au soir elle analysait et scrutait sa foi et ses rapports avec Dieu ; en un mot elle était devenue ce qu’en style de couvent on appelle scrupuleuse. Sa santé se ressentit bientôt de cette tension d’esprit ; elle devint pâte, maigre, souffrit d’insomnie,