Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces natures passionnées, qui ne sont ni profondes ni tendres ; loin des yeux signifiait pour elle : loin du cœur. George Sand se garde bien de nous le dire, mais il est évident que Sophie-Antoinette s’était parfaitement habituée à vivre sans sa fille, que leur séparation lui coûtait peu, qu’elle s’était fait tranquillement à Paris une vie nouvelle et toute personnelle, et se détachait de plus en plus de son enfant, qu’elle abandonnait aux soins de sa grand’mère. Cependant, Mme  Dupin qui vieillissait, fut atteinte d’une première attaque d’apoplexie, qui lui laissa, avec beaucoup de faiblesse, un état maladif, dont elle ne put se remettre. Une constante sollicitude envers la pauvre malade, une tendresse toute féminine s’éveillèrent aussitôt dans le cœur d’Aurore, et un amour sincère pour l’aïeule qui l’idolâtrait, l’envahit sans qu’elle cessât cependant de la traiter comme son ennemie, lui opposant constamment une sourde résistance, jetant le blâme sur tous ses désirs, toutes ses observations, toutes ses décisions. Elle n’étudiait que pour obéir passivement aux ordres de sa grand’mère, étant convaincue que l’étude ne servait à rien. La vie qui l’attendait chez sa mère était celle d’une petite bourgeoise parisienne ; dans le milieu où il lui faudrait vivre, elle ne pourrait rien retirer de toutes les connaissances que sa grand’mère voulait lui inculquer. Depuis Longtemps déjà, Aurore avait renoncé à un ancien projet, celui d’aller à Paris, en faisant des économies sur son argent de poche et en vendant ses petits bijoux. L’espoir qui l’avait animée, la conviction qu’elle finirait par vivre avec sa mère s’affaiblissaient chez elle de jour en jour, et les rêves d’un avenir heureux prenaient, de plus en plus, le caractère de mélancoliques souvenirs d’un bonheur passé, évanoui. Les chants dédiés à Corambé tournaient de plus en plus à l’élégie,