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notre temps, qui, il est vrai, copient assez exactement le côté extérieur de la vie des paysans, leur grossièreté, leur pauvreté, leur inertie dans l’ignorance, mais dans lesquelles l’auteur qui ne connaît la vie de campagne que pour l’avoir interviewé pendant quelques quinze jours[1] n’a su pénétrer ni le sens ni l’esprit de la vie du peuple. En lisant certaines de ces pages émouvantes et éclatantes de talent, nous éprouvons la même impression que si nous lisions un voyage chez des sauvages de la Nouvelle-Calédonie. Cela nous surprend, nous intéresse, mais nous nous sentons étrangers à ces sauvages, tandis qu’en lisant les scènes populaires de Tourguéniew, de Tolstoï ou de George Sand, nous sentons en leurs personnages, nos semblables, nos proches ; nous y retrouvons les traits typiques que, vivant à la campagne, l’on peut observer partout, que cette campagne se trouve en plein Berry, ou dans les gouvernements de Toula, de Riazan ou de Novgorod.

C’est justement cette « vérité populaire » que nous apprécions dans les œuvres des auteurs ci-dessus nommés. Leurs observations sur la vie du peuple ne sont pas artificielles, spécialement assemblées en vue de tel ou tel roman, mais des observations organiques, réellement vécues, et notées à mesure qu’ils les vivaient, dans leur enfance, dans leur jeunesse passées au village, quand leurs impressions, pour être inconscientes, n’en étaient que plus

  1. Nous signalons à l’attention du lecteur la lettre d’un médecin de campagne, ayant passé vingt ans au milieu des paysans. Anatole France la cite dans son article sur la Terre de Zola (Anatole France. La vie littéraire. Paris, 1892. Calmann-Lévy) ! Ce docteur Fournier affirme, à deux ou trois reprises dans sa lettre extrêmement probante et sérieuse, que : « Ce que j’ai déjà lu de la Terre me prouve, a moi qui ai vécu vingt ans avec les paysans, que M. Zola n’a jamais fréquenté les gens de la campagne… » Et plus loin : « Tel est le fait. Et il prouve combien peu M. Zola connaît les gens qu’il s’est proposé de peindre… » etc., etc.