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créer et de revêtir ses créations d’une forme littéraire précise furent autant d’éléments qui finirent par trouver chez la fillette leur voie et leur expression. Nous avons déjà vu, qu’à peine âgée de quatre ans, Aurore se contait à elle-même des histoires sans fin, qu’à huit ans elle rêvait de sauver la grande armée, et s’envolait, sur les ailes de la fantaisie, vers les steppes et les montagnes, secourant, guérissant, ramenant dans leur patrie Napoléon et ses légions vaincues. La future romancière avait maintenant onze ans et venait de lire l’Iliade et la Jérusalem délivrée. Cette lecture la frappa ; son imagination exaltée resta comme éblouie par la beauté des images poétiques et la magique fantaisie de la fiction. Elle se sentit profondément peinée de voir ces beaux poèmes se terminer si vite, renfermés en des cadres si étroits pour elle ; elle aurait voulu qu’ils eussent une suite, et elle entreprit de la faire. Elle commença à se raconter une interminable épopée, un long roman, dont les héros étaient d’abord les personnages préférés qu’elle avait trouvés dans ces deux vieux poèmes, mais peu à peu, tout le sujet et tout l’intérêt du récit gravitèrent autour d’une mystérieuse divinité, d’une figure inconsciemment créée dans l’imagination d’Aurore, et composée de tout ce qui l’avait charmée dans le christianisme, la mythologie et les œuvres poétiques qu’elle venait de lire. Cette divinité, — qu’Aurore avait baptisée d’un nom imaginaire Corambé, nom entendu dans son sommeil, — réunissait en elle la perfection morale du Christ, la beauté immatérielle de l’ange Gabriel, le souffle inspiré d’Apollon, la grâce et le charme de toutes les divinités de l’Olympe, tout le beau et le sublime qui la ravissaient dans les dieux mythologiques, tout le poétique et le miséricordieux du christianisme, en dehors de son rigorisme et de sa condamnation de la