Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’élabore dans l’âme la notion générale, d’abord inconsciente. d’une loi morale obligatoire, et plus tard, toutes les exigences les plus compliquées et les plus délicates de l’homme moral. Toute conception du monde une et immuable, quelle que soit cette conception — ne peut être basée que sur un fondement un et immuable.

Bien des années après, George Sand effrayait encore ses amis les plus proches, entre autres l’élégant Musset et Chopin si maladivement sensible, par des sorties parfois presque vulgaires contre les croyances les plus intimes et les habitudes morales qu’ils avaient contractées dès leur enfance envers des personnes ou des principes qui ne pouvaient, selon eux, se prêter à la critique et encore moins être jugés. Il lui arrivait de traiter avec une désinvolture étonnante, de vive voix ou par écrit, le passé de sa mère et sa propre naissance, survenue un mois à peine après le mariage de ses parents ; elle choquait ses amis par la liberté avec laquelle elle parlait de sujets aussi sacrés pour eux que le sentiment filial, la personnalité des parents, leur souvenir, etc. Mais il n’y a rien là qui puisse nous étonner ! Dès sa plus tendre enfance, du vivant de sa mère et de sa grand’mère, elle avait constamment entendu les deux femmes se critiquer et les avait vues perpétuellement se blâmer et se condamner l’une l’autre. La critique était en effet réciproque. La vieille Mme Dupin avait le même travers que Sophie-Antoinette, mais sous des formes différentes. L’aïeule causa un mal irréparable à Aurore en se laissant aller à juger sans appel sa belle-fille aux yeux de sa petite-fille. La mère d’Aurore haïssait, il est vrai, dans l’aïeule, l’aristocrate, l’ancienne ennemie qui s’était opposée à son mariage avec Dupin, La femme instruite et bien élevée, fière de son éducation et de sa vertu. Mais