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bons, quoique la grand’mère, — cousine de Louis XVIII et de Charles X, et ayant même sacrifié 10.000 francs pour ce dernier au temps qu’il n’était encore que comte d’Artois et en exil, — n’estimât guère ses parents royaux dont elle connaissait très bien le caractère. À l’avènement de Louis XVIII, elle dit à sa petite-fille : « Ce doit être celui qui portait le titre de Monsieur. C’est un bien mauvais homme. Quant au comte d’Artois, c’est un vaurien détestable. Allons, ma fille, voilà nos cousins sur le trône, mais il n’y a pas là de quoi nous vanter[1] »… Mais l’entourage de la grand’mère regardait Napoléon comme un monstre, un usurpateur, un parvenu, dont l’orgueil avait entraîné à leur perte tant de vaillants enfants de la France. Les conversations des visiteurs de Mme  Dupin roulaient presque toutes sur Napoléon pour le blâmer. Aurore, dont le jeune cœur, animé de sympathies bonapartistes, commençait à deviner vaguement — et grâce aux discours de son père que sa mémoire avait retenus — que l’imposante image de Napoléon incarnait, en réalité, l’idée de la Patrie, de la France grande et une, se sentait prise de plus en plus d’antipathie envers les vieilles comtesses et leurs étroites sympathies de parti. Aussi fut-elle ravie, le jour où elle entendit un petit garçon de treize ans se révolter hardiment contre tout un cercle de grandes personnes qui étaient en train de se réjouir de la défaite de Napoléon, et de l’entendre blâmer avec colère ceux qui ne comprenaient pas que la défaite du grand homme était aussi la défaite de la France, un désastre public dont les Français ne pouvaient et ne devaient nullement se réjouir. Quoique la petite Aurore ne sût pas encore exprimer ses pensées, elle éprouva le même

  1. Histoire, t. II. p. 419.