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race royale qui ne pouvait oublier l’origine et le passé de sa belle-fille. Il y en eut aussi de la part de la fille des rues de Paris, qui ne nourrissait pour les aristocrates que haine et mépris, et en qui grondait comme un écho de la récente révolution, jointe à l’hostilité instinctive des gens du peuple à l’égard des familles seigneuriales. La nature de ces deux femmes, leur éducation, leurs intérêts étaient trop différents pour qu’elles pussent s’entendre, et le seul point qui eut dû les rapprocher, leur amour pour la petite Aurore, fut justement la pierre d’achoppement, la cause du conflit qui s’éleva entre elles.

Lettrée et instruite, toujours préoccupée de quelque question intellectuelle, avec ses calmes habitudes de grande dame casanière du xviiie siècle, ses manières et son parler serein et posé, femme distinguée, bien élevée, toujours maîtresse d’elle-même, indulgente, attentive et affable envers tout le monde, mais réservée dans la manifestation de ses sentiments, l’aïeule paraissait presque froide au premier abord. Au physique, elle était haute de taille, svelte, blonde, une vraie Anglo-Saxonne. Et, d’autre part, la mère, nature sans frein, emportée, illettrée, dénuée de tact et de toute éducation, une vraie Madame Sans-Gène, était une petite femme, brune comme une espagnole, vive, passionnée, apte à tout, principalement à tout travail plus ou moins artistique, toujours occupée de son ménage, jamais en place, toujours en mouvement, quittant sans cesse un ouvrage pour commencer autre chose, et passant d’un extrême à l’autre dans ses sentiments comme dans leur manifestation. C’est ainsi qu’elle passait subitement de l’amour à la haine, de l’animosité à l’adoration, des caresses aux injures et même aux coups ; nature changeante, incapable de porter deux jours de suite le même