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repos que quand elle commence ses romans entre ses quatre chaises[1]. »

Sophie-Antoinette contribua beaucoup à développer l’imagination et l’instinct artistique de sa fille. Elle-même était une âme simple, mais poétique et expansive. Tantôt elle chantait de sa petite voix sonore, tantôt elle racontait des contes à Aurore, mêlant sans scrupule les légendes pieuses à la mythologie et aux contes de fée. Fondée ou non, son idée était que l’élément fantastique est indispensable aux enfants, que le monde des rêves enchantés est beaucoup plus que la rigide et prosaïque réalité compréhensible et familière leur entendement. Sophie-Antoinette avait aussi en elle le sentiment inné du beau et ce fut elle qui, la première, déposa dans l’âme de la future George Sand, le germe de l’amour de la nature. Dans les promenades qu’elle faisait, d’abord à pied, avec la petite, et plus tard en voiture, lorsqu’elle traversait avec elle les pays inconnus, elle ne cessait d’attirer l’attention de l’enfant, tantôt sur les contours capricieux des nuages roses du soir, tantôt sur la fraîcheur et la couleur d’une simple fleurette des champs, tantôt encore sur les crêtes menaçantes des rochers qui bordaient la route. La petite Aurore, dont l’âme était grande ouverte (comme toutes les âmes enfantines), à toutes les impressions de la vie, était surtout avide d’impressions artistiques. La première fois qu’elle entendit les sons de la flûte d’un modeste mélomane qui s’exerçait à l’étage supérieur de celui qu’elles habitaient, l’enfant fut comme plongée dans une sorte d’extase. Chaque parole nouvelle ou insolite à son esprit, chaque image neuve agissait sur elle avec une violence extraordinaire.

  1. Histoire, t. II, p. 166-168.