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son récit. Auguste II, qu’elle n’appelle avec trop d’indulgence que « le plus étonnant débauché de son temps », avait passé à son fils sa nature sensuelle et dépravée, son goût des aventures galantes. Mais Maurice de Saxe, ce fils plus que libertin de ce grand libertin du xviiie siècle, ce coureur d’aventures qui en était arrivé à perdre un trône pour une fredaine presque comique avec une beauté de garnison[1] — ce même Maurice de Saxe, nature rien moins que vulgaire, était doué d’une intelligence remarquable, portée aux idées originales et aux vues générales d’une grande élévation. Sous sa tente de soldat il pensait au bien public, il rêvait des utopies sociales, visant à introduire dans les différents pays de l’Europe un meilleur ordre de choses, et portait, jusque dans les questions spécialement militaires, cet esprit critique et profondément humanitaire qui sait amener des réformes. Qui ne sera étonné d’apprendre, par exemple, que ce Condottiere du xviiie siècle rêvait déjà d’introduire le service militaire obligatoire en remplacement du système de recrutement de son époque, et qu’il a laissé à ce sujet un mémoire fort curieux. Comme on peut bien le croire, ces tendances politico-économiques et sociales de Maurice de Saxe n’ont pas été mises en oubli par son arrière-petite-fille : elle s’étend là-dessus avec une visible complaisance (ch. vi du tome I de l’Histoire de ma Vie).

La fille de Maurice de Saxe hérita de ses parents leurs heureuses qualités sans rien hériter de leurs défauts et de leurs faiblesses. On ne lui voit rien de l’esprit léger de sa mère, la joyeuse Mlle de Verrières, mais on retrouve en elle tout son talent musical et sa passion pour la littérature

  1. Voir l’Histoire de ma Vie, vol. I, p. 169-170.