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LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS

En effet, bien que cet homme agréable à Dieu, en tant que sa nature est conçue comme humaine, fût soumis aux mêmes besoins, et par suite aussi aux mêmes souffrances, aux mêmes inclinations naturelles, et par suite aussi aux mêmes tentations à transgresser la loi que nous, comme, dans la mesure où on la concevrait comme surnaturelle, il faudrait attribuer à cette nature une pureté du vouloir inaltérable, non pas acquise, mais innée, qui rendrait toute transgression absolument impossible pour lui, il y aurait alors de nouveau, et par cela seul, entre cet homme divin et les hommes naturels que nous sommes, une distance si infiniment grande qu’il ne pourrait plus nous servir d’exemple. Qu’on me donne, dirait chacun, une volonté absolument sainte, et toute tentation de mal faire échouera d’elle-même en moi ; qu’on me donne la certitude intérieure la plus complète, qu’après une courte existence terrestre, je serai appelé (à cause de ma sainteté) à jouir sans délai de toute l’éternelle magnificence du royaume des cieux, et je supporterai non seulement avec résignation, mais encore avec joie, quelque dures qu’elles puissent être, toutes les souffrances et jusqu’à la mort la plus ignominieuse, ayant devant mes yeux l’issue magnifique et prochaine. Sans doute, si l’on songe que cet homme divin était réellement de toute éternité en possession de cette majesté et de cette béatitude (sans qu’il eût besoin de les mériter en endurant de pareilles souffrances), qu’il s’est résigné à s’en dépouiller pour le bien de créatures indignes, pour le bien même de ses ennemis, afin de les sauver de la damnation éternelle, il y a là de quoi exciter dans notre âme de justes sentiments d’admiration, d’amour et de reconnaissance à son égard ; on pourrait également nous représenter l’Idée d’une conduite conforme à une règle de moralité si parfaite comme absolument valable pour nous en qualité de prescription à suivre, mais cet homme divin ne saurait jamais nous être donné comme un exemple à