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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

cette loi[1] ; et même ce qu’il y a d’incompréhensible dans cette disposition qui proclame une origine divine doit agir sur l’âme jusqu’à l’enthousiasme et lui donner la force de consentir aux sacrifices qui peuvent lui être imposés par le respect de ses devoirs. Exciter fréquemment ce sentiment de la sublimité de notre destination morale, c’est le meilleur moyen que l’on puisse indiquer pour réveiller les sentiments moraux, parce que c’est directement s’opposer au penchant inné qui pousse à intervertir les mobiles dans

  1. Que le concept de la liberté de la volonté (der Freiheit der Willkühr) ne précède pas la conscience de la loi morale en nous, mais qu’il soit seulement conclu de la déterminabilité de notre volonté par cette loi prise en sa qualité de précepte inconditionné, c’est ce dont on peut se convaincre bientôt en se demandant si l’on a conscience, d’une façon sûre et immédiate, d’avoir une faculté qui permette de surmonter par le ferme propos tous les mobiles, quelque grands qu’ils soient, incitant à la transgression (Phalaris licet imperet ut sis Falsus, et admoto dicat perjuria lauro). Chacun devra avouer qu’il ne sait pas si, tel cas se présentant, il ne faiblirait pas dans sa résolution. Et pourtant le devoir commande inconditionnellement : tu demeureras fidèle à la loi ; et l’homme a raison d’en conclure qu’il doit pouvoir agir ainsi et que par conséquent sa volonté est libre. Ceux qui prétendent faussement que cette propriété impénétrable est tout à fait compréhensible forgent une illusion avec le mot déterminisme (en ce qui regarde la thèse de la détermination de la volonté par des raisons internes suffisantes), comme si la difficulté consistait à concilier le déterminisme et la liberté, ce à quoi personne ne pense ; mais comment le prédéterminisme, selon lequel les actions volontaires, en tant qu’événements, ont leurs raisons déterminantes dans le temps antérieur (qui, ainsi que ce qu’il renferme, n’est plus en notre pouvoir), est-il conciliable avec la liberté, selon laquelle il faut que l’action, tout aussi bien que son contraire, soit, au moment du devenir, en la puissance du sujet : voilà ce que l’on veut savoir et ce qu’on ne saura jamais.

    [Il n’y a aucune difficulté à concilier le concept de la liberté avec l’idée de Dieu en tant qu’Être nécessaire, parce que la liberté ne consiste pas dans la contingence de l’action (en vertu de laquelle cette action n’est pas déterminée par des motifs), c’est-à-dire dans l’indéterminisme (en vertu duquel il faudrait que Dieu pût également accomplir le bien ou le mal pour que son action dût être appelée libre), mais bien dans la spontanéité absolue qui seule est en péril avec le prédéterminisme où la raison déterminante de l’action est dans le temps passé, si bien par suite qu’actuellement l’action n’est plus en mon pouvoir, mais dans la main de la nature, et que je suis irrésistiblement déterminé ; or, comme en Dieu on ne peut concevoir aucune succession de temps, cette difficulté tombe alors d’elle-mima.]