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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

rompre, si cette corruption doit lui être imputée) est une disposition au bien ; nous ne pouvons donc pas trouver de principe compréhensible qui nous fasse voir d’où le mal moral a pu nous venir. C’est avec cette incompréhensibilité, en même temps que la détermination plus précise de la méchanceté de notre espèce, que l’Écriture marque dans ce récit historique[1], lorsque, tout en plaçant le mal au commencement du monde, elle le présente comme existant non pas encore dans l’homme, mais dans un esprit d’une destinée originairement plus élevée ; par conséquent le commencement premier de tout le mal en général est représenté de cette manière comme étant pour nous incompréhensible (car d’où provient le mal dans cet esprit ?), et l’homme est donné comme un être qui tombe dans le mal uniquement parce qu’il s’y laisse entraîner (durch Verführung), qui n’est donc pas foncièrement perverti (même dans sa disposition première au bien), mais qui est encore susceptible d’une amélioration, contrairement à l’esprit tentateur, c’est-à-dire à un être dont la faute n’a pas d’excuse, car on ne peut pas l’imputer aux tentations de la chair ; ce qui laisse à l’homme pervers de cœur, mais qui pourtant

  1. Ce qui est dit ici ne doit pas être envisagé comme une interprétation de l’Ecriture, car une pareille interprétation ne rentre pas dans les limites des attributions de la simple raison. On peut s’expliquer sur la manière dont on tire parti moralement d’une leçon historique, sana décider si le sens qu’on lui attribue est bien celui que visait l’écrivain ou seulement celui qu’on prête à ses paroles, à la seule condition que ce sens soit vrai par lui-même et sans aucune démonstration historique et que de plus il soit en même terne le seul qui nous permette d’appliquer à notre amélioration un passage de l’Écriture, qui autrement serait une augmentation inféconde de nos connaissances historiques. Il ne faut pas discuter sans nécessité sur une chose, — et sur l’autorité historique de cette chose, ― qui, de quelque manière qu’on t’entende, ne contribue en rien à rendre les hommes meilleurs, lorsque ce qui peut y contribuer est connu sans preuve historique, et même doit être connu sans une preuve de ce genre. La connaissance historique qui n’a pas de rapport intime valable pour tout homme avec cette amélioration, rentre dans la catégorie des adiaphora vis-à-vis desquelles chacun est libre d’agir comme bon lui semble pour sa propre édification.