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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

publique mondiale, mérite, tout autant que le chiliasme théologique, qui s’attend à l’achèvement pour le genre humain tout entier de l’amélioration morale, d’être tourné en ridicule en qualité d’extravagance.

Le principe de ce mal ne peut pas : 1° se trouver, comme on le prétend communément, dans la sensibilité de l’homme, ni dans les inclinations naturelles qui ont la sensibilité pour base. Ces inclinations, en effet, n’ont pas de rapport immédiat avec le mal (elles donnent plutôt à la vertu, manifestation de la force particulière à l’intention morale, l’occasion de se produire) ; nous ne sommes pas non plus responsables de leur existence (nous ne pouvons même pas l’être, parce qu’elles existent en nous naturellement et sans nous avoir pour auteurs), tandis que le penchant au mal engage notre responsabilité, puisque, affectant la moralité du sujet et se trouvant par suite en lui comme en un être libre dans ses actes, il doit pouvoir lui être imputé comme une faute dont il s’est lui-même relu coupable, et cela nonobstant les profondes racines qu'a ce mal dans le libre arbitre, où il est tellement ancré que l'on est obligé de le dire inhérent par nature à l'homme. — Le principe de ce mal ne peut pas non plus : 2° consister dans une perversion de la raison moralement législatrice ; ce qui supposerait que la raison pourrait elle-même détruire en soi l’autorité de la loi et renier l’obligation qui en découle : chose absolument impossible. Se considérer comme un être libre dans ses actes et se figurer cependant que l’on est affranchi de la loi qui régit les êtres de ce genre (de la loi morale) reviendrait à vouloir concevoir une cause agissant sans aucune loi (car la détermination résultant de lois physiques ne peut pas avoir lieu à cause de la liberté) : ce qui est contradictoire. ― Conséquemment, pour fournir le principe du mal moral dans l’homme, la sensibilité contient trop peu ; car elle fait de l’homme, en éliminant les mobiles qui peuvent sortir de la liberté, un être purement animal (bloss