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iv
AVANT-PROPOS


pure et la Critique de la Raison pratique. Ils voyaient entre elles, au contraire, une opposition radicale, une manifeste contradiction et condamnaient l’illogisme du philosophe qui, après avoir démoli, par la raison spéculative, l’entier édifice du dogmatisme, prétendait maintenant le reconstruire, avec plus de solidité, grâce à une raison pratique. Comme si pour Kant la Raison était ainsi décomposable, et comme si la. diversité même des deux usages qu’elle admet, suivant les objets qui l’occupent, n’impliquait pas l’unité absolue de la Raison, de la Pensée ! Cette première incompréhension nous rend la seconde plus explicable et nous n’avons pas à nous étonner de l’hostilité dédaigneuse que manifestent ces penseurs à. l’égard de la Religion dans les limites de la raison. Précisément parce que cet ouvrage est la « conclusion[1] » de toute la pensée kantienne et qu’il se relie très étroitement à la Critique de la Raison pratique, comme celle-ci se rattache à la Critique de la Raison pure, ils ne pouvaient rien y comprendre et devaient, naturellement, accuser Kant de mettre sa philosophie aux gages de l’Eglise et de la superstition religieuse, et lui reprocher, avec Goethe[2] « de s’être laissé prendre aux appâts des chrétiens et de baiser la bordure de leur manteau ».

C’est totalement méconnaître l’inspiration de la philosophie critique et fausser le sens du kantisme que de s’arréter ainsi aux préliminaires, sans tenir aucun compte non seulement du système complet, mais de la pensée même antérieure au système et qui lui a donné naissance. L’auteur des Critiques a toujours été sincèrement et profondément religieux. Elevé par sa mère dans le piétisme le plus rigide et dans la plus pure moralité, il demeura toujours persuadé, ainsi que ses maîtres Schultz et Knutzen, de l’accord nécessaire entre les croyances religieuses et les vé-

  1. Expression de Kuno Fischer.
  2. Lettre à Herder, 7 juin 1793.