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DU VRAI CULTE ET DU FAUX CULTE

acceptée et glorifiée, un culte divin susceptible de lui mériter la faveur du Ciel, avant que, de toutes ses forces, il ait travaillé à se bien conduire, et par suite d’une manière absolument gratuite, un culte de Dieu qui serait capable de lui fabriquer surnaturellement une bonne conduite, ou du moins, s’il venait à être pris en faute, de réparer sa transgression.

Deuxièmement, dès que l’homme s’écarte, aussi peu que ce soit, de la maxime énoncée ci-dessus, le faux culte de Dieu (la superstition) n’a plus de limites ; en dehors de cette maxime toutes les pratiques sont arbitraires (quand elles ne sont pas directement contraires à la moralité). Depuis le sacrifice des lèvres, le moins difficile de tous, jusqu’à celui des biens de cette terre, qui, du reste, pourraient être mieux employés au profit de l’humanité, jusque à l’immolation même de sa propre personne qu’il fait en quittant le monde (pour vivre en ermite, en fakir, en moine), l’homme offre tout à Dieu, sauf son intention morale ; et quand il dit à Dieu : « Je vous offre mon cœur », il n’entend point parler de l’intention de vivre comme il est agréable à Dieu, mais exprimer de tout cœur le désir de voir ce sacrifice accepté par Lui comme tenant lieu d’une vie conforme au devoir. (Natio gratis anhelans, multa agendo nihil agens. Phèdre.)

Enfin, quand on a pris comme règle d’action (Maxime) un culte qu’on prétend agréable à Dieu en lui-même et capable même au besoin de nous réconcilier avec Lui sans être purement moral, il n’y a plus dès lors entre les diverses manières de servir Dieu mécaniquement, peut-on dire, de différence essentielle qui donne l’avantage à l’une plus qu’aux autres. Toutes ont la même valeur (chacune n’en ayant aucune) et c’est grimace pure que de se regarder, parce que l’on s’écarte avec plus de finesse du principe intellectuel, qui est le seul principe de l’adoration de Dieu véritable, comme étant d’une essence plus raffinée que ceux qui ont le tort

Kant. — Religion. 14