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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

mandement, c’est-à-dire qui lui obéit (fides servilis) sans s’informer si véritablement ce commandement émane de Dieu.

Or, dans l’enseignement de la révélation chrétienne, on ne saurait faire passer d’abord la foi inconditionnée à des dogmes révélés (cachés par leur essence à la raison) et faire venir après elle la connaissance savante ayant uniquement pour rôle, en quelque sorte, de nous couvrir contre l’attaque d’un ennemi survenant par derrière ; car la foi chrétienne, en ce cas, serait non seulement fides imperata, main encore fides servilis. Elle doit donc toujours être au moins enseignée comme fides historice elicita, c’est-à-dire que l’érudition dans une telle foi, en sa qualité de foi révélée, devrait constituer non l’arrière-garde, mais l’avant-garde, et que le petit nombre des hommes versés dans les Écritures (des clercs), gens qui ne devraient pas être entièrement dépourvus d’instruction profane, marcherait à la tête de la longue file des ignorants (des laïques), lesquels n’ont pas d’eux-mêmes étudié à fond l’Écriture (et dans cette foule se trouvent eux aussi les rois de la terre (weltbürgerlichen Regenten). ― Pour que cela ne se produise pas, il faut que l’universelle humaine raison, souveraine maîtresse de la religion naturelle, soit reconnue et honorée, dans le système de la foi chrétienne, comme le souverain et suprême principe (Princip), mais que l’on y aime et qu’on y cultive les enseignements révélés, sur lesquels se fonde une Église et par rapport auxquels les savants jouent le rôle obligé d’interprètes et de gardiens, comme un simple moyen, mais extrêmement précieux, de donner à la religion la clarté nécessaire pour que les ignorants eux-mêmes la saisissent, et de lui procurer diffusion et durée.

C’est alors un vrai culte que celui de l’Église au service du bon principe (Princip) ; mais dès que la foi révélée prend le pas sur la religion, on voit paraître le faux culte, qui renverse totalement l’ordre moral et impose comme