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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

membres d’une société qui veut se séparer des autres). Mais le terme suprême de la perfection morale à viser par des créatures finies, terme que les hommes jamais ne peuvent atteindre complètement, est l’Amour de la Loi.

Suivant cette idée, ce serait dans la religion un principe de foi que « Dieu est amour » ; on peut adorer en lui l’être aimant (qui a pour les hommes l’amour de la complaisance morale, quand ils se conforment à sa loi sainte), le Père ; on peut en lui, de plus, en tant qu’il se manifeste, dans son Idée de conservation souveraine, au type de l’humanité créée par lui-même et aimée de lui, adorer son Fils ; on peut aussi enfin, en tant qu’il soumet cette complaisance conditionnelle à l’accord des hommes avec ce qu’il donne pour condition à cet amour de complaisance et qu’il montre ainsi un amour fondé sur la sagesse, l’adorer comme Saint-Esprit[1] : mais on ne saurait, à vrai dire, l’invo-

  1. Cet Esprit, grâce auquel l’amour du Dieu sauveur (als Seligmachers) (à proprement parler l’amour que nous lui portons en retour) s’unit à la crainte de Dieu considéré comme législateur, cet Esprit qui, par suite, unit le conditionné à sa condition, et que l’on peut donc se représenter comme « procedens ab utroque », outre qu’« il nous conduit constamment à la vérité (à l’observation du devoir) » est aussi le vrai juge des hommes (devant leur conscience). Juger, en effet, peut avoir deux sens : c’est constater le mérite ou bien son absence, c’est proclamer la culpabilité ou l’innocence de quelqu’un. Dieu envisagé comme amour (en son Fils) juge les hommes en s’attachant à voir, si leur dette acquittée, il leur reste encore un mérite, et alors sa sentence est : dignes ou indignes. Et il met à part, comme siens, ceux au compte desquels peut être porté un mérite. Les autres s’en vont les mains vides. Par contre, la sentence du juge selon la justice (de celui qu’il faut appeler à proprement parler le juge, et qui a nom le Saint-Esprit), visant ceux au compte desquels on ne peut trouver de mérite, est ― ils sont coupables ou non coupables ― c’est-à-dire qu’elle est ou condamnation ou absolution. ― [Juger, dans le premier cas, signifie séparer en deux camps les candidats à un même prix (la béatitude), mettre d’un côté ceux qui la méritent et d’un autre côté ceux qui ne l’ont pas méritée. Et par mérite ici il ne faut pas entendre un excédent de la moralité relativement à la loi (car nous ne pouvons jamais observer la loi plus parfaitement que nous n’y sommes obligés), mais ce par quoi on vaut mieux que les autres hommes, au point de vue de l’intention morale. La dignité n’a jamais non plus qu’un sens négatif : on nous reconnaît (non-indignes) moralement susceptibles de recevoir une faveur si grande. ― Celui qui juge donc