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DE LA VICTOIRE DU BON PRINCIPE SUR LE MAUVAIS

dire l’a invité à exister d’une manière spéciale (en qualité de membre du royaume céleste), il faut qu’il y ait pour Dieu un moyen de suppléer aux aptitudes qui lui manquent, et qui sont requises pour cette fin, par l’abondance de sa propre sainteté. Mais ceci est contraire à la spontanéité (supposée de tout le bien ou tout le mal moral qui se peut rencontrer en l’homme [das ein Mensch an sich haben mag], spontanéité qui veut que ce bien, pour pouvoir lui être imputé, provienne de lui nécessairement et non point d’un autre. — Il est impossible, par conséquent, autant que la raison puisse l’apercevoir, qu’un autre la remplace, lui donne l’excédent de sa bonne conduite et lui transmette son mérite, ou si l’on admet tout cela, c’est seulement au point de vue moral qu’il est nécessaire de l’admettre ; car théoriquement (fürs Vernünfteln), c’est là un mystère insondable.

3. Le mystère de l’élection. Si même, on accorde comme possible cette satisfaction par intermédiaire, l’acte de foi morale par lequel on l’admet n’en demeure pas moins une détermination au bien du vouloir, ce qui présuppose dans l’homme une intention d’être agréable à Dieu, chose qu’étant donnée sa corruption naturelle il ne saurait par lui-même produire en lui. Mais qu’en lui doive agir une grâce céleste, qui ne regarde pas au mérite des œuvres, procédant simplement par décret inconditionné pour accorder aux uns son assistance et pour la refuser aux autres, et qu’une partie de l’espèce humaine soit destinée d’avance à la félicité, tandis que l’autre l’est à une éternelle réprobation, voilà encore des choses qui ne donnent aucune idée d’une justice qui serait divine, mais qu’il faut en tout cas rapporter à une sagesse dont la règle pour nous est absolument un mystère.

Or, sur tous ces mystères, en tant qu’ils ont rapport à l’histoire morale de la vie de chacun de nous, — puisqu’ils posent ces questions : comment se fait-il qu’il y ait au